samedi 3 mai 2014

Depuis Senlis...




Comme vous avez de la chance!...même parole entendue à une semaine d'intervalle de la part de deux dames âgées . À la première ,à la sortie de la messe d'Herchies, Michel a. proposé de nous accompagner..."c'est,hélas,impossible,quand on a 83 ans mais je penserai à vous!"nous a-t-elle répondu . La seconde est apparue toute réjouie dans la boutique de l'abbaye Notre-Dame d'Ourscamps où nous expliquions au libraire que nous venions loger là cette nuit du 28 avril ...oh,à pied de Belgique,des vrais pèlerins alors..j'aime beaucoup Notre-Dame de Banneux,j'y vais chaque année et la prie chaque jour...". Et la voilà qui nous récite avec ferveur la belle prière de Banneux... Nous avions les larmes aux yeux et avons promis de l'emporter avec nous jusque Compostelle. Il nous reste aussi à nous rendre à Banneux ...
Ces petites dames nous révèlent notre chance..."En retrait" d'une vie professionnelle bien remplie quasi en même temps,le même âge ,une bonne santé, des enfants indépendants et heureux,le même souhait  de marcher vers Saint-Jacques...Oui,sachons apprécier ce Chemin que d'autres auraient tant souhaité parcourir sans le pouvoir...
Je repenserai souvent à cette phrase lorsque la ligne droite se fera trop longue,le sac trop lourd après 16h, le gîte inconfortable,la pluie trop drue, les erreurs de chemin inévitables ...
Lorsqu'il faut rebrousser chemin, Axel Khan (Penser en chemin,2014) suggère de renoncer à la désolation et à la fureur et d'opter pour la placidité ...après tout,on peut toujours essayer...Nouveau défi:devenir placide!
Aujourd'hui,la douche est bien chaude et le gîte sous le toit d'une longère de ST Crépin aux Bois dans l'Oise bien agréable ...les pizzas transportées dans le sac en plus des sandwichs du midi et de la baguette du petit-déjeuner nous a bien rassasiés. La propriétaire nous a même apporté deux bières et...un sèche- cheveux...le luxe!

Le soir,le tapis vert des champs,des bois et des chemins de halage se déroule à nouveau dans notre tête ...quel tournis en 8 jours hors du temps,des habitudes, des occupations. Ce ne sont pas les vacances scolaires...et, pourtant, nous sommes partis vagabonder, traverser la France dans sa diagonale et l'Espagne dans son horizontale ...
Nous revoyons et approfondissons nos cours d'histoire et de géographie physique,économique et politique in situ, en cheminant le nez au vent,les yeux bien ouverts,l'esprit curieux et branché sur les rencontres riches  bien qu'éphémères avec les gens croisés dans les champs, les villages ou lors de l'accueil du soir...
À Bavay, le vent faillit tourner pour César face à Boduognat,notre ancêtre nervien; perchée sur sa colonne Brunehault rappelle qu'ici cinq voies romaines se croisaient...; la forêt  de Mormal ne représente plus qu'un cinquième de sa superficie d'avant l'an mil suite au grand déboisement mené principalement par les moines et une population en accroissement ...en témoignent les noms de lieux environnants : Aulnoye, Le Quesnoy, Le Quesne au Leu, Fayt, Noyers, Le Nouveau-Mesnil,Longueville, les Essarts..Les églises nous parlent des premiers évangélisateurs : St Quentin,St Crépin,St Médard, St Rieul, St Éloi conseiller du roi Dagobert et Charlemagne sacré roi des Francs à Noyon  ponctuera le chemin jusque dans les Pyrénées et les Marchés d'Espagne...nous l'avons déjà rencontré  par là ,la marque du sabot de son cheval en pays cathare ou dans de nombreuses petites chapelles aux frises lombardes.... pour le moment nous traversons Carlepont, une de ses résidences royales...Sacré Charlemagne ...il avait déjà commencé à construire l'Europe avec une formidable administration juridique et chrétienne...
Les abbayes renvoient aux seigneurs locaux qui soutinrent l'installation de moines bénédictins puis cisterciens envoyés par St Bernard, même des célestins ... Hélas,la direction à distance par des abbés commanditaires et puis la Révolution achevèrent la décadence et la ruine de ces ordres prestigieux. À Ourscamps,des belges payés moins cher que des ouvriers français ,vinrent au 19ème  travailler sur les métiers à tisser installés dans les beaux bâtiments monastiques un velours luxueux À Bohain,le petit musée aménagé dans la graineterie de la famille Matisse,évoque l'époque où 10.000 artisans du Vermandois fournissaient Paris en tissus raffinés grâce  ses usines textiles et le travail à domicile...À Fresnoy-le-Grand,nous longerons l'usine des bas Le Bourget (et La fonderie Le Creuset) installée entre les deux guerres et dernier vestige d'une époque glorieuse...

"La France est à l'envers,me confie la baguette sous le vieux blouson troué un pauvre hère,...d'ailleurs j'ai pas voté..y a pu d'travail...j'vais vendre ma maison,ma femme est partie avec un autre et mes sous..Mi,j'ai le cancer de la bouche d'avoir mis des saloperies dans les champs...Y a plus rien qui va dans c'pays..."Je n'ai pas tout compris à ton ch´ti mais je penserai à toi Gérard sur le Chemin. Le long du canal de ST Quentin,les pêcheurs sont nombreux ce dimanche matin,les cyclistes et les joggeurs aussi...Assis sur un banc,un vieil homme, nous dit:"Plus de travail ici, y reste que les loisirs et la pêche ".

Les traces des deux guerres mais surtout celles de 14-18 nous accompagnent..'St Quentin et Noyon à 90 0/0 détruites, un cimetière à la sortie de Ham,dans un champ,présente dos à dos des centaines de petites croix noires allemandes dressées dans l'herbe et des stèles britanniques blanches bien fleuries mentionnant pour la plupart. "À soldier of the great war... Known unto God...", À Ors,au pont qui enjambe le canal de la Sambre à l'Oise, un panneau rappelle qu'ici en 1918 est tombé le poète anglais Wilfred Owen; un parcours de mémoire fraîchement mis en place par le village de Tracy le Mont sur la ligne du front nous entraine de la Pansée (petite maison où l'on pansait les blessures plus ou moins légères),au lavoir, à l'église -ambulance et aux confidences des villageois sortis brutalement de leur lit le 4 août 1914 non par la sirène de l'industrie de brosses qui employait 2000 ouvriers mais par des voix de soldats allemands traversant la rue principale...
Et partout des monuments aux Morts plus pathétiques les uns que les autres avec des poilus couchés au pied d'une femme éplorée ou  fièrement tournés vers la victoire baïonnette à la main...tous tombés glorieusement au champs d'horreur pour sauver la Patrie...
De place Général de Gaule ou Foch en boulevard Clémenceau et rue du Général Leclerc ou Delattre de Tassigny,nous traverserons la Selle,la Somme,l'Aisne et l'Oise et tous leurs canaux pour atteindre la clairière de l'Armistice...
Le bocage de l'Avesnois avec ses vaches bleues puis hollandaises ou limousines et ses maisons de briques (des cheminées dans la campagne témoignent des petites briqueteries locales) cèdent progressivement la place à de grandes cultures céréalières et l'odeur suave du colza. La belle pierre blanche équarrie ou pas nous  fait des églises,des maisons et des châteaux étincelants au creux des vallons verdoyants de l'Oise et de l'Aisne.
Les haras,les maisons avec jardin soigné ou parcs somptueux,les chevaux de course,les 4x4, les hippodromes nous parlent d'une autre France...

C'est le 1er Mai,on fête le Travail ou St Joseph...c'est pareil puisqu'il est le patron des Travailleurs...Il fait magnifique et la forêt domaniale de Compiègne avec son Mont des singes s'est habillée de vert tendre, de blanc et de bleu jacinthe pour recevoir les cueilleurs de muguet. De fières cavalières et des randonneurs alertes et légers nous rattrapent sur les sentes sablonneuses..Coucou,coucou,c'est la fête et tous les oiseaux gazouillent gaiement.L'étape sera plus courte, 20 km...nous pourrons visiter le château impérial...Les croisements s'enchaînent et l'œil est en alerte car le topoguide nous annonce plusieurs GR...Méfiance ...Nous longeons une grande tribu    familiale déballant bbq et abondance de victuailles...Nous pensons à notre quignon de pain et bout de Cantal...Bah, filons,nous serons bientôt arrivés!... Les  jambes deviennent toutes dégonflées,comme dit si bien Barnabé, nous avalons rapidement ce petit en-cas sur un talus de la D645...Tiens,tiens...mais c'est où ça ?  Dans le sens opposé à notre objectif...Demi-tour, l'orage éclate ...Imper,guêtres, protection sac à dos..Cette fois,ce sont les limaces,les noires,les rouges,brunes ou grises ( pour tous les goûts, en fait...)et les escargots qui sont à la fête . La  technique moderne du GPS et les cartes tentent de faire bon ménage pour nous mener au bout de 2 heures de sentiers boueux au point de vue des Beaux-Monts...Une perspective de 5 km dans la forêt menant directement au château de Marie -Louise,seconde épouse de Napoléon qui souhaitait ainsi retrouver un peu de son Schönbrun natal...Et bien, pour la vue, c'est raté avec la brune et la drache, quant aux 5 km il faudra bien les parcourir dans l'herbe et le sable collant...
Heureusement,nous avions déjà visité autrefois car l'envie de se remémorer le mariage de Léopold Ier avec une autre Marie-Louise,fille du roi Louis-Philippe d'Orleans est passée...Nous reviendrons plus tard avec nos petit-enfants...

À Compiègne, un cortège carnavalesque essuie les derniers gouttes..L'Office du tourisme qui devait nous donner la clé du gîte pour pèlerins est fermé...Nous admirons rapidement le bel Hôtel de Ville Renaissance avec son beffroi le plus méridional d'Europe mais un petit café est bien nécessaire pour réchauffer deux SDF transis. Nous prenons avec plein d'espoir la direction du gîte et là, enfin, une voix répond au numéro de téléphone pour nous donner le code 14-18 qui nous ouvre, sous la chapelle St Lazare, la porte d' un beau dortoir avec cuisine et douche chaude. Les radiateurs tenteront de sécher nos habits et de nous réchauffer jusqu'à l'arrivée d'un brave hospitalier à 18h30 qui nous mènera, après avoir accueilli une hollandaise exténuée sur son superbe vélo Koga, tôt en voiture jusqu'à un petit resto tenu par un de ses amis pèlerins. Il nous sert une L'effet et nous prenons un menu trois services,,,La note sera en conséquence ...Enfin,repus, nous rentrons au gîte ...à pied pour retrouver notre hollandaise ravie d'avoir fait sa petite lessive.Vive  le 1er Mai et surtout St Joseph! 
En direction de Verbière, autre résidence de Charles Martel et Charlemagne,nous faisons halte pour pique-niquer au pied d'un poteau blanc de croisement de la belle forêt de Compiègne lorsqu'un coup de fil de notre ami pèlerin franc-comtois Guy nous annonce qu'il va nous rejoindre à Orléans ...Allez, salut les veinards et à bientôt! À cet instant, le ciel ouvre ses grandes vannes et nous remballons prestement avant de reprendre les sentes sous la futaie bien humide..

Marie-Françoise. 


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