Depuis Bodenaya, le 16 octobre
La francophonie reconstituée ...
Il est des voyages étranges où chaque matin l'IPhone nous sort de la torpeur à 6h30 lorsqu'il fait encore nuit noire dans un dortoir obscur où d'autres préfèrent prolonger le sommeil réparateur. Il faut alors se glisser sans bruit hors du sac de soie, replier la couverture prêtée et tâter le tas de vêtements préparés la veille pour enfiler short et blouse pareils chaque jour. Pull, polar et foulard sont,à présent, rajoutés par-dessus car la fraîcheur mordante se maintient jusqu'aux premiers rayons de soleil. Vite ramasser en silence les quelques objets qui constituent notre essentiel, se chausser, endosser le sac, attraper les bâtons et dehors repérer la première flèche jaune pour s'orienter ...ainsi que le bar déjà ouvert, où à cette heure matinale, on vous servira le "cafe solo et les toastadas" du vrai Pdj espagnol avec son jus d'orange frais...por favor!
À la moindre hésitation face à un embranchement surgit un vieil espagnol, déjà sur le chemin, pour vous indiquer d'un coup de sa baguette magique le "Buen camino"...dans l'après-midi, ils seront trois ou quatre, endimanchés, assis sur un banc à vous saluer .
Les espagnoles, vêtues d'un joli cache-poussière, armées de leur fregolna (espèce de balai en forme de poulpe) astiquent de grand matin leur terrasse inondée de soleil ou balaient devant leur porte fleurie...Le linge parfumé est déjà tendu sur les fils du balcon ...à 11h, c'est le fumet d'un bon bouillon de poule qui vient émoustiller les narines.
Il est des voyages étranges où, à midi, vous vous rendez compte que votre mari a mis ses chaussettes à l'envers alors que vous taillez une "jasette" , sur une falaise face à l'océan , au milieu des vaches, à propos du le Grand Dérangement " de 1777 ou de la vie des Algonquiens avec une Pèlerine Acadienne bien sympathique partie du Puy-en-Velay le 17 août.
De l'ancienne petite prison transformée en gîte municipale de Comillas, la belle cité balnéaire aux villas fin de siècle dont une fut même imaginée par le fantasque Gaudi, nous avons choisi le Camino côtier arpentant rochers, vallées profondes, ravissantes criques et toujours superbes vues sur l'océan azur et les falaises découpées de la Cantabrie. Sur une prairie, une jeune femme épand les fines algues qui y sècheront trois jours avant d'être vendues à des firmes pharmaceutiques ou cosmétiques étrangères, principalement chinoises...tandis que sur une jolie plage de sable blanc, une classe vient suivre son cours de surf ...quelques échauffements et puis flottaison sur les rouleaux translucides...
Nous quittons la côte pour franchir quelques collines...
Après avoir cassé la croûte sous un noyer, nous sommes hélés par les deux français, Jean-François de Reims et Patrick de Nantes avec qui nous avions passé la nuit à l'albergue de la Piedad à Bóo de Pielagos après Santander. C'est l'heure d'un bon petit café à la terrasse du bar du village de Serdio.
Petites routes forestières et chemin de terre le long de la voie ferrée, puis trottoirs semés de bancs ...jusque Unquera.
Nos amis y logent et nous préférons passer le pont sur la Ria de Tina Mayor pour entrer dans les Asturies et gagner quelques km sur l'étape de 33 du lendemain. Le Camino prend alors une tournure particulière , celle d'une sente carrelée de 2,5 km grimpant sur la crête d'une haute colline jusqu'au bourg de Columbres . La première maison rétro toute bleu pervenche et balcons blancs clos de fenêtres comporte d'anciennes écuries transformées en gîte. C'est là que nous déposons nos sacs avant d'aller boire une bière avec Camilla l'Acadienne et Bernard le Suisse sur la place elliptique entourée de demeures majestueuses . Le museo de l'émigration et des archives des "Indianos " établi dans un énorme palais bleu, la Casa de la Guadelupe construite en 1906, au milieu d'un parc planté d'arbres exotiques . Cette fondation raconte l'histoire de son propriétaire Iñigo Noriega émigré au Mexique mais aussi celle des milliers d'Asturiens partis en Amérique du Sud et dans les Antilles au XIXès pour chercher fortune. Issus de familles rurales très nombreuses, ils n'avaient d'autre choix que d'embarquer sur des Transatlantiques à vapeur dans le port le plus proche...Certains revinrent rapidement aussi pauvres qu'à leur départ tandis que d'autres, devenus très riches, devinrent des bienfaiteurs pour leur patrie d'origine en construisant de jolies places, des écoles et des cliniques ainsi que de somptueuses demeures de type sud-américaine avec patio, vastes balcons, stucs, larges escaliers, confort moderne...
Dans le restaurant mexicain où nous soupons avec Camilla et Bernard, nous, les migrants de quelques semaines, aurons l'occasion de parler d'émigration ...celle de nos ancêtres ou celle plus actuelle de ceux qui viennent chercher aussi fortune en frappant à la porte de l'Europe...peut-être un jour retourneront-ils faire le bonheur de leurs familles misérables aujourd'hui...si nous leur donnons une chance.
De Columbres, nous choisissons, nous les quatre pèlerins francophones, à nouveau la Voie côtière plus Verte et ses belles perpectives sur l'océan ...L'approche de la ville de Llanes se fait harassante dans la chaleur d'un chemin de terre à flanc de montagne le long d'un vaste golfe, enfin la descente et la traversée de la ville animée. Nous décidons à nouveau de pousser plus loin la halte afin de réduire la prochaine étape et après trois km de trottoirs blancs habituels nous atteignons la petite albergue de Poo dans les dunes. Le jeune propriétaire nous propose logement, souper cuisiné par la maman et une lessive avec séchage pour nous quatre...Soupir de soulagement général ...la bassine en plastique est vite pleine...et comme je n'ai plus qu'un bikini à enfiler , je propose à Michel une petite baignade relaxante sur la plage située à 200 m...Une merveille de sable fin protégée par de petites falaises où paissent les vaches...Deux paddles s'éloignent vers l'océan et des enfants jouent et nagent avec leurs mamans...des sources d'eau douce jaillissent des rochers couverts d'une flore variée ...l'eau est fraîche mais relaxante...après 33km sous le soleil dont la moitié certainement de côtes!
Mercredi 11
Nous partons à nouveau dans l'obscurité sans déjeuner et ratons un embranchement de chemin...quelques km sans bar...des campings fermés sur les falaises...9h30, enfin...un Hôtel 4 étoiles accepte que nous prenions le Pdj Buffet pour 5€ ...Nous déposons nos sacs à dos et nos bâtons dans le hall et nous asseyons parmi les vacanciers bien chics dans la belle salle à manger avec vue sur la jolie crique. Cela nous change de notre ordinaire et nous donnera de l'énergie pour poursuivre jusque Ribadesella sur des petites routes entre plages clémentes et succession d'églises baroques et de monastères vétustes. L'auberge de jeunesse dans une grosse villa blanche de maîtres sur la plage bordée de palais XIXes "d'Indianos "accueille surtout les surfeurs et quelques pèlerins ...Petit tour dans le port assoupi, réchauffé par le coucher de soleil et souper avec un pèlerin avocat dans l'administration barcelonaise ...la situation politique de la Catalogne nous est expliquée avec force passion!
Jeudi 12, la grande bifurcation
Panique au Pdj dans El Rectoral, la belle albergue ouverte en avril dernier dans l'ancienne cure du petit village Priesca, 98 habitants, et imaginée par son ex-occupant malade. Deux paroissiennes bénévoles se relaient pour y accueillir les pèlerins . Rosa reçoit chacun avec tout son cœur et propose, en plus de la visite de l'exceptionnelle église préromane du IX ès San Salvador, de laver et sécher le linge...Nous y retrouvons Philippe, médecin fraîchement retraité, parti de Montreuil dans le Pas-de-Calais, Jean-Michel parti de Strasbourg et Nelson, le Québécois. Il ne manque que l'Afrique francophone!
Panique donc à 7h, un jeune espagnol ne retrouve plus son slip gris sur l'étendoir ! Finalement, notre Suisse le sort du fond de son sac parmi les siens, gris aussi...mais en oublie sa trousse de toilette...qui lui fera faire un retour en côte de 500m...
Étrange voyage...
Des sentiers encaissés semés de glands, noix et châtaignes nous amènent dans la jolie cité de Villaviciosa pour prendre le café ou pour Camilla le premier churros con chocolate. Belle église romanogothique de Santa Maria la Oliva aux archivoltes géométriques.
Sept km de vergers(nous sommes sur la route de la pomme) plus loin vient le moment de quitter notre amie acadienne. Dans le village de Casquita, nous partons à gauche vers Oviedo par le Camino primitivo tandis que Camilla poursuit le Norte vers la droite...Nous nous reverrons un jour sur le Camino, en Belgique ou au New Brunschwig ...
Ensuite...le chemin grimpe, le sentier de pierre et de boue nous mène par un dénivelé de 400m sur l'Alto del Campa...2h de montée ...nous avalons quelques raisins et un biscuit au sommet avant de redescendre doucement...le genou de Michel ne supporte pas la pente.
Nous retrouvons Bernard à Vega de Sariego pour prendre une bière au bar qui délivre la clé de l'albergue municipale. Nous y souperons en soirée avec Philippe, et Jean-Michel ainsi que avec les trois jeunes espagnols.
14 octobre, Oviedo, capitale des Asturies et point de départ officiel du Primitivo, inauguré en 935 par le roi Alfonso II le Chaste.
Impatients d'arriver à destination, nous avalons les 17 premiers km jusque El Berrón où nous prenons un bus à 13h en plein cagnard pour éviter asphalte, réseau d'autoroutes, banlieues industrieuses...À 14h, nous déposons nos sacs à l'étage d'un immeuble aménagé en petits dortoirs.
Message du compagnero Sergio: arrivée en gare d'Oviedo à 16h34...depuis Lorient via Irun et León. Belle surprise!!!
Déambulation dans le centre historique piétonnier, messe à la cathédrale :"Quién va a Santiago y no va al Salvador visita al criado y deja al Señor".
Des mariages remplissent les rues d'élégants couples dont les Señoras rivalisent de beauté avec leurs chapeaux surprenants et leurs longues robes fendues et vaporeuses. Nous faisons piètre figure en godillots poussiéreux!
Souper et vin savoureux dans la cour intérieure du vieux marché pour fêter les retrouvailles avec Serge et les 69 ans de Bernard.
Dimanche 15 octobre, belle étape vallonnée de 29 km jusque Grado. Notre ami Serge, el Faro. nous ouvre la Voie qu'il connaît et renoue très joyeux avec le Camino, le cafe con leche , la ensalada mixta et la tortilla!!! Très bon accueil par Helena, la hospitalera portugaise de l'albergue rénovée de Grado .
Lundi 16, Apocalypse now !
Départ après un bon Pdj servi par Helena...il fait noir et nous grimpons durant 7 km ( Serge à sa lampe frontale et deux clignotants à l'arrière du sac) . À 9h, toujours noir...à 11h, une faible lueur éclaire le bourg et le monastère de Corneihla...une odeur de feu...Trump aurait-il fait une bêtise???
Nous continuons à progresser dans un éclairage jaunâtre de hameau en paroisse admirant les horreos(Garde-provisions de bois sur pilotis pour éviter les rongeurs) de plus en plus grands ...à Salas , après 23 km, nous décidons de poursuivre à 13h jusque l'albergue de David à Bodenaya, 7,5 km plus loin. Helena nous a fortement recommandé cette dernière albergue donativo qui exprime toute la philosophie du Camino...
Il fait toujours obscur sous une masse nuageuse compacte...Inquiétant...les tables du bar sont couvertes de cendres.
Michel et Serge dopés au coca courent sur le sentier forestier bien pentu...nouveau dénivelé de 400m. Ponts de pierre du XVIIès sous ponts d'autoroutes futuristes et anachroniques sans circulation dans ces montagnes à la vie si rustique .
Arrivés sur la crête , nous croisons deux marcheurs qui nous demandent où nous allons. Chez David! C'est moi, répond l'un d'eux...l'autre, José, un hospitalier bénévole, parle français. Nous sommes reçus comme chez nous: échanges fraternels, confort, bon repas...à 12, nous sommes de 7 nationalités dont une australienne et un brésilien . Nous décidons démocratiquement de nous lever à 7h35...le luxe!
Espérons que les feux du Portugal et de Galice soient maîtrisés et nous laissent le Camino libre!